CECI n'est pas EXECUTE Echo d'un colloque sur Abd el-Kader, Oran, novembre 2008

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Echo d'un colloque sur Abd el-Kader, Oran, novembre 2008

« Le legs de l’Émir Abd el-Kader entre  particularisme et universalité : approches analytiques ». Un colloque à Oran (Algérie), 29-30 novembre 2008

par Jérôme Bocquet, Federico Cresti, Alain Messaoudi

N. B. : Cet écho n’a pas la prétention de donner une vision exhaustive des différents apports de la manifestation. Il ne fait que refléter une perception du moment, partielle et lacunaire.

   Issu d’une famille originaire de Médine et qui vantait sa descendance du Prophète, Abd el-Kader, fils de Mahi ed-Din, naquit dans le village de El-Qaitana (la Guet’na de l’oued el-Hammam, selon la transcription française courante), non loin de Mascara, dans la région occidentale de l’Algérie actuelle. Après une jeunesse dédiée aux études religieuses selon le cursus de la formation traditionnelle, il se rendit en 1825 avec son père en pèlerinage aux lieux saints de l’Arabie, et visita  à la même occasion plusieurs autres villes du Moyen Orient, dont Baghdad.

     Rentré au Maghreb, il se trouva bientôt confronté à l’invasion de son pays (1830), et en 1832 il fut proclamé émir par les tribus de la région d’Oran, qui, par cet acte, lui confiaient la direction du jihâd contre les Français. À partir de cette époque il s’opposa, avec l’armée de volontaires qui se battait sous ses ordres, à l’invasion du pays par une lutte acharnée qui dura quinze ans. Sous son impulsion, un État commença à prendre forme, doté d’une administration centrale, d’une armée, de nouvelles villes qui devaient héberger les centres de son gouvernement ainsi que les manufactures nécessaires à sa survie.

     Malgré quelques épisodes favorables dans la guerre contre la France, la puissance militaire de l’État européen vint à bout de sa résistance : en 1847, après une longue période de fuite qui l’avait vu se réfugier dans les territoires du Maroc, il se rendit. Prisonnier en France pendant quatre ans, il fut libéré en 1852 par le prince président Louis-Napoléon : il séjourna deux ans en Turquie, et par la suite prit sa résidence à Damas. En 1860, lors des émeutes qui ensanglantèrent cette ville, il sauva d’un massacre certain plusieurs milliers de chrétiens, qui trouvèrent refuge dans sa demeure et qu’il prit sous sa protection. Il mourut à Damas le 26 mai 1883.

     Figure polyédrique de savant, de mystique, de philosophe, d’homme d’action, chevalier remarquable dans sa jeunesse, poète, Abd el-Kader est considéré par l’Algérie indépendante comme le précurseur de l’État moderne.

À l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’émir Abd el-Kader, l'Université d'Oran a organisé les 29 et 30 novembre 2008 un colloque international.

Les objectifs de la rencontre avaient été fixés par Boualem Belkacemi, doyen de la Faculté des Sciences humaines et de la Civilisation islamique de cette Université et organisateur du colloque. Selon ses propres termes, on pouvait dégager six axes principaux à suivre lors des travaux et dans le débat proposé aux participants :

  • Faire connaître le legs intellectuel, humaniste et politique de l’émir Abd el-Kader.

  • Inculquer les valeurs d’humanisme et de dialogue dont s’était imprégné l’Émir et instaurer des référents historiques et culturels pour la société algérienne.

  • Réaliser une édition scientifique de l’œuvre de l’Émir.

  • Œuvrer à la traduction des écrits de l’Émir dans d’autres langues, afin de promouvoir l’interculturalité et le dialogue  entre les civilisations.

  • Créer les conditions pour la mise en place d’un centre de recherche et de documentation sur l’émir Abd el-Kader à l’Université d’Oran.

  • Mettre en exergue la place de l’Émir dans les fondements de la mémoire nationale.

Pour l’ouverture de ces journées, marquées par la présence d’autorités civiles et militaires, signe d’une reconnaissance officielle, le recteur de l’Université est revenu longuement sur l’importance de la manifestation, en expliquant que les intervenants seraient amenés à se pencher aussi bien sur la personne de l’Émir en tant que symbole de la lutte et de la résistance contre l’occupation française que sur le penseur et le poète ou son image en France comme dans les écrits arabes et étrangers. Le président du Haut conseil islamique a insisté ensuite sur la notion de tolérance chez l’Émir et sa conception du dialogue des religions et des civilisations.

Les deux journées ont ainsi réuni près de quarante intervenants, pour leur majorité historiens, venus d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, de France et d’Italie – on en attendait aussi d’Égypte et des États-Unis, finalement empêchés. Certaines contributions enthousiastes ont montré toute la capacité de fascination que garde le personnage comme son actualité. D’autres ont souligné son actualité dans la France d’aujourd’hui, dans le monde scolaire, dans le milieu associatif et plus généralement dans le domaine culturel. Durant ces deux jours, on a cherché à réécrire l’histoire de l’Émir comme son historiographie, à démêler la légende, le mythe et les vecteurs de sa postérité, notamment au travers d’une étude des manuels scolaires. Un des intérêts les plus notables du colloque a été de croiser des points de vue différents sur Abd el-Kader, selon les espaces nationaux, les sensibilités politiques et les orientations religieuses. Federico Cresti a ainsi souligné l’apport d’une correspondance consulaire italienne conservée à Naples, dont la vision diffère de celle des autorités françaises, tandis qu’Abou Alkassem Saad Allah s’est interrogé sur la modernité de l’Émir et sur le débat qui divise les historiens algériens entre ceux qui voient en lui un réformateur et ceux qui le définissent comme un conservateur. Comme le faisait remarquer dès l’ouverture le président du Haut Conseil de la langue arabe, il s’agissait de questionner les différentes facettes de l’Émir, d’ouvrir des chantiers, de soulever des interrogations et même de susciter des controverses, par exemple sur ses liens de l’Émir avec les confréries – diversement appréciés par les historiographies algérienne et marocaine – ou sur la question de son appartenance supposée à la franc-maçonnerie.

Des communications et des débats de ces deux journées se sont dégagés plusieurs axes : le legs de la résistance et la contribution de l’Émir à la construction de l’État algérien moderne, Abd el-Kader et la spiritualité soufie, l’œuvre intellectuelle de l’Émir et ses écrits littéraires et politiques, l’image multiple d’Abd el-Kader enfin, en Algérie, dans le monde arabe et dans le monde occidental.

L’importance qu’il y aurait de constituer un inventaire des sources concernant Abd el-Kader a été souligné par Geneviève Simon-Khedis : ce travail demanderait quelques moyens, mais ne poserait pas de difficultés majeures, les fonds en question étant déjà généralement bien repérés. Il permettrait de renouveler l’historiographie de l’Émir et d’éviter que les travaux ne se répètent, alors que des périodes de la vie de l’Émir, son séjour en Syrie par exemple, pourraient être mieux connues. L’émergence d’Abd el-Kader comme principal chef de la résistance contre l’invasion française et l’organisation politique qu’il met en place dans le cadre de cette lutte, thèmes longtemps privilégiés par la recherche historique, ont semble-t-il fait moins souvent l’objet de travaux récents. Le colloque leur a donné toute leur place. Entre autres, Federico Cresti (COSMICA, Université de Catane) nous a présenté les aperçus nouveaux que la correspondance politique du Royaume des Deux Sicile conservée à Naples peut offrir sur Abd el-Kader. Jalel Maherzi (Université Lyon 3) a proposé quant à lui une analyse des conceptions fiscales de l’Émir, Plusieurs communications, dont celle de Boualem Belkacemi (Université d’Oran),  sur l’Émir en prison, ont confirmé l’intérêt nouveau que suscite la période de l’exil – mouvement qui traduit peut-être la place nouvelle que prend la figure de la victime (au dépens du héros ?) dans nos sociétés contemporaines.

Une part importante du colloque a été consacrée à l’œuvre philosophique et religieuse de l’Émir. Abdallah Moussa (Université de Saïda), a ainsi présenté une analyse du Dhikrâ l‑‘âqil en montrant comment ce texte s’inscrit dans une tradition savante musulmane et en soulignant ses enjeux philosophiques. La question de sa réception en France a été posée par Alain Messaoudi (EHESS, Paris), en reconstituant le parcours de l’auteur de cette première traduction parue dès 1858, l’orientaliste Gustave Dugat.

L’historiographie d’Abd el-Kader, sa mémoire et les mythes qui ont pu se développer autour d’elle ont été plus généralement l’objet de débats intéressants. Jérôme Bocquet (Université d’Orléans) a ainsi montré comment les missionnaires français en Syrie avaient instrumentalisé la  mémoire du sauvetage des chrétiens de Damas par Abd el-Kader en 1860. Mohammed Hatmi (Université de Fès) a souligné l’importance des enjeux politiques dans l’historiographie de l’Émir au Maroc. Amira Aliyah Esseghir (Université de Tunis-La Manouba) a fait un bilan des représentations de l’Émir telles qu’elles sont véhiculées par les manuels scolaires tunisiens. Parallèlement, Bernard Javault a reconstitué la façon dont les manuels scolaires français ont présenté l’Émir pendant et après la période coloniale, ouvrant le débat sur l’importance qu’il y aurait aujourd’hui à donner en France toute sa place à une figure historique dont les valeurs font sens de part et d’autre de la Méditerranée. Youssef Ahmed (Université d’Oran), a quant à lui analysé la place d’Abd el-Kader dans la littérature algérienne contemporaine.

Les langues de communication du colloque ont été l’arabe, majoritairement, et le français, secondairement. La présence d’une étudiante-interprète a permis aux participants ne maîtrisant pas la langue arabe d’accéder au contenu des communications et des débats. On pourra peut-être regretter que la place réservée à ces derniers n’ait pas été plus large, du fait du nombre important des communications.

Jérôme Bocquet (Université d’Orléans)

Federico Cresti (COSMICA, Université de Catane)

Alain Messaoudi (EHESS, Paris)

EHESS

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